La Cible, magazine officiel de l’IQPF, est destinée aux planificateurs financiers et leur permet d’obtenir des unités de formation continue (UFC). Chaque numéro aborde une étude de cas touchant les différents domaines de la planification financière.
Issue link: https://digital.carswellmedia.com/i/1292725
16
lacible | Octobre 2020
PLACEMENTS
FAIRE LE MAL EN
VOULANT FAIRE LE BIEN,
LA NÉCESSAIRE REMISE
EN QUESTION
Denis Preston
CPA, CGA, FRM, GPC, Pl. Fin.
Formateur et consultant
La planification financière est un processus
complexe qui vise à permettre aux clients
d'atteindre leurs objectifs. Le planificateur
financier intègre une foule de connaissances
provenant de différents domaines et les applique
dans un environnement compliqué et aléatoire
(avec probabilités connues), voire incertain (avec
probabilités non connues).
Le processus comporte plusieurs difficultés, mais
l'une des plus importantes découle du fait que le
comportement des clients est souvent changeant,
pour toutes sortes de raisons. Par exemple :
• Les marchés ont fluctué ;
• Ils ont perdu leur emploi ;
• Leur conjoint les a quittés ;
• Ils sont devenus invalides ;
• Leurs capacités ont diminué ;
• Ils subissent des pressions de leur entourage ; etc.
La finance comportementale a démontré que les
clients ne réagissent pas comme des machines et
que leurs processus décisionnels sont fortement
altérés par leurs biais, par les effets de cadrage
et par les règles heuristiques
1
. Par exemple,
demandez à vos clients (ou à toute personne
de votre entourage) de vous donner leur poids,
leur grandeur, la superficie de leur résidence…
Répondent-ils en utilisant le système métrique
ou le système impérial ? Beaucoup utiliseront le
système impérial. Pourtant, la Loi sur les poids
et mesures a été modifiée en 1971 (il y a presque
50 ans !) pour passer au système métrique.
Beaucoup de gens qui n'étaient même pas nés en
1971 utilisent encore le système impérial.
Cela dit, il peut être facile ou tentant de penser que
les problèmes dans l'exercice de notre profession
sont dus à l'environnement et aux clients. Pourtant,
la finance comportementale n'est pas que pour ces
derniers, elle concerne tous les humains et, donc,
les planificateurs financiers aussi.
Le système professionnel et ses codes de
déontologie existent pour protéger le client (ou le
patient) de situations d'asymétrie d'informations
où un professionnel qui en connaît davantage que
le client lui-même pourrait en profiter pour abuser
de la situation ou du client. Malheureusement, la
planification financière ne fait pas exception ; il y
a plusieurs poursuites déontologiques ou civiles
à l'encontre de planificateurs financiers. Les
poursuites civiles sont moins connues car, dans
la très grande majorité des cas, elles se concluent
par des ententes entre les parties. Cependant,
les conséquences peuvent être énormes. J'ai
été témoin de situations où le représentant, son
cabinet et leur assureur ont dû débourser plusieurs
centaines de milliers de dollars, même quelques
millions de dollars !
Il peut arriver que le planificateur financier soit
bien intentionné, mais qu'il applique des conseils
ou produits financiers inappropriés à la situation
de son client. Voici quelques exemples de biais et
de règles heuristiques
2
qui affectent parfois notre
profession :
• Conseiller aux clients de demander leur rente de
retraite du Régime de rentes du Québec (RRQ)
le plus tôt possible alors que depuis la réforme
du RRQ, la demande anticipée de la rente est
rarement avantageuse
3
;
• Conseiller aux clients de demander leur pension
de la Sécurité de la vieillesse (PSV) à 65 ans
plutôt qu'à 70 ans. Pourtant, si le décès se
produit à l'espérance de survie de 50 %, il faut
obtenir un taux de rendement avec leurs REER
d'environ 6,9 % pour une femme ou de 6,5 %
pour un homme pour que cela soit avantageux
4
;
• Recommander de souscrire une assurance vie
avec valeur de rachat alors que le client n'a pas
cotisé au maximum à son REER, son CELI et son
REEE et n'a pas remboursé ses dettes dont les
intérêts ne sont pas déductibles de son revenu ;
1 Pour plus d'informations à ce sujet, vous pouvez consulter Denis PRESTON,
« L'ABC de la finance comportementale », Conseiller, juin 2018, p. 42.
2 J'ai commencé ma carrière il y a 34 1/2 ans alors que le taux d'emprunt des
obligations de dix ans du gouvernement du Canada était d'environ 11 %. Cela
a créé un biais ancrage chez moi, qui m'a fait surévaluer les probabilités
d'une remontée des taux. Une de mes erreurs de jeune représentant (le titre
de planificateur financier n'existait pas encore) est d'avoir utilisé la règle
heuristique de recommander à certains clients de cotiser au REER et, avec
l'économie d'impôts, de rembourser leurs dettes. Quelques années plus tard,
j'ai compris que c'était soit l'un ou l'autre, mais pas les deux. Voir le calculateur
« Rembourser l'hypothèque ou épargner ? », en ligne :