La Cible, magazine officiel de l’IQPF, est destinée aux planificateurs financiers et leur permet d’obtenir des unités de formation continue (UFC). Chaque numéro aborde une étude de cas touchant les différents domaines de la planification financière.
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16 lacible | Mai 2020 SUCCESSION LA FINE LIGNE ENTRE LE POUVOIR ET LE DROIT : QUAND TROP DE POUVOIR PEUT MENER À DES ABUS DE DROIT Caroline Marion Notaire, LL. M., D. Fisc., Pl. Fin. Conseillère senior Trust Banque Nationale Étude de cas Le père de Jérôme est décédé récemment et c'est sa sœur Jasmine qui a été nommée seule liquidatrice. Puisque leur mère était prédécédée, le testament prévoit que la succession se partagera entre Jérôme et sa sœur. Or, cette dernière a commencé à distribuer les meubles de la maison familiale, ce qui rend Jérôme inconfortable. Il se demande si sa sœur a le droit de faire ça ? Il arrive fréquemment qu'une telle question se pose en matière de droits et obligations de toutes sortes. Par exemple, le locateur d'un immeuble peut se demander si son locataire a le droit de ne pas payer son loyer pour un mois. La réponse est évidente : non, il n'a pas le droit, il doit respecter l'obligation qu'il a en vertu du bail qu'il a signé. Par contre, le locataire conserve le pouvoir de ne pas payer son loyer, ce qui forcera éventuellement le locateur à exercer ses droits en poursuivant son locataire devant la Régie du logement pour récupérer les sommes et même en exerçant des procédures d'éviction si la situation persiste. On constate facilement la fine ligne qui existe entre le pouvoir et le droit. Or, dans le cadre d'une liquidation de succession, cette problématique se présente souvent sous de multiples facettes. On sait que le liquidateur de la succession jouit de la saisine, soit du pouvoir qui lui permet de revendiquer les biens du défunt entre les mains de toute personne, y compris des héritiers 1 . De plus, la loi ou le testament accordent au liquidateur des pouvoirs plus ou moins importants par rapport aux biens sous son contrôle. De base, le Code civil du Québec ne lui accorde que des pouvoirs de simple administration 2 , puisque son rôle est en principe limité et pourrait être exercé seulement pour une courte période 3 . Cependant, il n'est pas rare que le testateur accorde à son liquidateur des pouvoirs beaucoup plus étendus de pleine administration 4 . C'est souvent dans ce contexte que des dérapages peuvent se produire. En effet, la personne à qui l'on accorde la pleine administration possède sur les biens qu'elle administre des pouvoirs étendus semblables à ceux que possède une personne majeure et apte sur ses biens, à l'exception spécifique du droit d'en disposer à titre gratuit 5 . Le liquidateur qui jouit de la pleine administration peut donc disposer des biens (vendre, échanger, louer, hypothéquer) sans autorisation de quiconque sous réserve des règles relatives à la liquidation de la succession, dont son obligation de rendre des comptes 6 , de ne pas se placer en situation de conflit d'intérêts 7 et de respecter la protection accordée aux biens légués à titre particulier 8 . Ces pouvoirs très larges peuvent facilement mener à des abus. Ainsi, en matière successorale, un liquidateur ayant la pleine administration aurait le pouvoir, même s'il n'en a pas le droit, de : • ne jamais remettre de copie du testament aux héritiers ; • ouvrir seul un compte de succession, y rapatrier les valeurs du défunt et se faire des chèques à lui (elle) seul(e) sans jamais remettre les biens ou les sommes à ceux qui y ont droit ; • vendre les biens que le défunt aurait autrement attribués à un héritier ou légataire, alors que ce n'est pas nécessaire pour payer les dettes du défunt ; • utiliser les biens meubles et immeubles du défunt ou continuer l'exploitation d'une entreprise à son seul profit. D'ailleurs, en ce qui concerne le questionnement spécifique de Jérôme relativement à la distribution des meubles de la maison familiale, il va sans dire que Jasmine, en sa qualité de liquidatrice, a tous les pouvoirs nécessaires pour le faire. A-t-elle toutefois le droit de le faire ? 1 Art. 625, 777 et 778 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, (ci-après « C.c.Q. »). 2 Art. 802, 804 et 1301 à 1305 C.c.Q. 3 Art. 776 C.c.Q. 4 Art. 778, 1306 et 1307 C.c.Q. 5 Art. 1315 C.c.Q. 6 Art. 806, 1351 à 1354 puis 1363 à 1370 C.c.Q. 7 Art. 1308, 1310, 1312 et 1313 C.c.Q. 8 Art. 813 C.c.Q.