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lacible | Octobre 2021
Jean-François Gervais
Pl. Fin.
Analyste, environnement professionnel
Institut québécois de planification financière
FAIRE LE MÉNAGE
DES PROTECTIONS
D'ASSURANCE
Tao et Suong détiennent plusieurs polices
d'assurance et ils se questionnent sur leur utilité.
Il s'agit d'une saine réflexion. Une couverture
pouvait être utile et nécessaire au moment
de la souscription, mais ne plus l'être quelques
années plus tard à cause de circonstances qui
ont changé. Mais comment en sont-ils arrivés là ?
L'accumulation de polices est parfois causée par la
difficulté à comprendre les différentes couvertures.
Selon une théorie économique traditionnelle, le
consommateur est rationnel et bien renseigné.
Pour choisir ses polices d'assurance, il tiendrait
compte de l'utilité de chacune des protections,
présentement et dans l'avenir. Après un examen
minutieux des couvertures offertes, la personne
ferait une analyse des différentes façons de gérer
les risques à sa santé et à ses biens. Puis, pour
les conséquences financières qui devraient être
transférées à un assureur, notre consommateur
rationnel et bien renseigné choisirait l'option la
plus intéressante parmi les différents fournisseurs.
Bien entendu, la réalité est différente. Les humains
sont habités par une grande palette d'émotions
qui jouent un rôle central dans leurs décisions
quotidiennes. De plus, le consommateur est
imparfaitement renseigné, particulièrement
en matière d'assurance. Ceux qui tentent d'y
comprendre quelque chose se lancent dans un
marathon intellectuel parsemé d'obstacles.
Ce périple débute par une compréhension du
Code civil du Québec, qui établit les droits et
obligations des clients et des assureurs. Ces
articles sont complétés par la jurisprudence,
qui précise la portée des termes dans le code,
comme les circonstances qui « sont de nature à
influencer de façon importante un assureur dans
l'établissement du taux de la prime, l'appréciation
du risque ou la décision de maintenir l'assurance »
1
.
Ces circonstances ne sont pas expliquées en détail
dans le code et la jurisprudence nous permet de
les préciser.
Ensuite, le consommateur et le représentant
doivent déchiffrer le contrat. Par exemple, un
contrat d'assurance maladies graves contient
des descriptions techniques des maladies
qui nécessitent une très bonne connaissance
médicale. Un contrat d'assurance invalidité prévoit
habituellement une prestation lorsque l'assuré
est totalement invalide, une expression qui laisse
place à différentes interprétations. Un contrat
d'assurance habitation est un fromage suisse
de couvertures et exclusions minutieusement
superposées qui déroute même les représentants.
Bref, tout cela peut ressembler à une impasse.
Le consommateur qui cherche à gérer cette
complexité et à prendre une décision malgré
une information imparfaite oublie souvent que
l'assurance est un jeu à somme négative pour
les assurés et à somme positive pour l'assureur,
c'est-à-dire que le total des primes perçues par
l'assureur est supérieur au total des prestations
qu'il verse.
Une façon de gérer l'impasse est de simplifier la
prise de décision et, comme Tao et Suong, de
choisir l'option qui semble minimiser le risque de
pertes importantes
2
en souscrivant différentes
protections d'assurance.
Une analyse de l'Union des consommateurs
publiée en 2019 laisse croire que ce phénomène est
davantage présent dans le marché des assurances
secondaires (non prioritaires), c'est-à-dire celles
qui « ne doivent pas être placées en tête de liste
des assurances que les consommateurs doivent se
procurer »
3
. Concrètement, l'étude s'est penchée
sur ces types d'assurance : maladies graves, décès
et mutilation accidentels, décès d'un enfant, solde
de carte de crédit et vol d'identité.
Selon cette étude, peu de répondants cherchent
des renseignements avant de souscrire une
assurance secondaire (10 % pour l'assurance vie
pour enfant et 25 % pour l'assurance maladies
graves), ce qui amène les auteurs à conclure que
ces couvertures étaient plus souvent vendues
qu'achetées
4
. Plutôt que de réfléchir à leurs
besoins, les consommateurs réagissent à une
offre d'assurance présentée par un représentant
ou un distributeur. Réagir à une offre est une
mise en scène idéale pour le biais d'ancrage et les
raccourcis mentaux. Imaginez un consommateur
sur le point de quitter le concessionnaire avec sa
nouvelle voiture ou impatient de se rafraîchir dans
1 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2466.
2 En anglais, « risk-defusing operator ». Voir Oswald HUBER, « Evaluation-
Dependent Representation in Risk Defusing », (2017) Frontiers in Psychology,
article 836 ; en ligne : .
3 UNION DES CONSOMMATEURS, Assurances secondaires : les consommateurs
détiennent-ils toute l'information utile ? (Montréal, 2019), p. 7 ; en ligne : .
4 Ibid., p. 40.
ASSURANCE